Isabelle Voidey dénonce la violence à l'égard des femmes
À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, plusieurs voix se sont exprimées pour réitérer le sempiternel plaidoyer en faveur des victimes : les violences contre les femmes sont des drames. En fait, c'est tous les jours qu'il faut y penser car d'innombrables personnes subissent quotidiennement les effets néfastes de la violence. C’est pourquoi nous avons voulu donner la parole à une militante convaincue qui s’implique vaillamment dans la lutte contre la violence. Dans cet entretien qu'elle a bien voulu nous accorder, Isabelle Voidey partage son expérience et ses connaissances dans ce domaine.
1) Vous êtes pilote de formation, ce secteur reste encore largement masculin. Qu'est-ce qui a motivé votre orientation professionnelle vers un métier dit non traditionnel ? Dans le même ordre d’idées, comment s’est déroulé votre apprentissage tant au niveau de l’enseignement à proprement parler que dans vos relations avec vos collègues de sexe opposé ?
C'est une passion d'enfance, un reflet de mon tempérament. Je suis fougueuse, passionnée, éprise de liberté et artiste. Je n'avais aucune conscience, enfant, que ce métier pouvait comporter des limitations pour les femmes, puisqu'au contraire, pour moi, il était naturel. J'avais besoin de voler, c'était ma liberté, ma vie retrouvée, aussi un partage avec le public dans les meetings. La formation a été difficile. Pendant la formation, j'ai connu le meilleur et le pire : des hommes m'ont aidée, soutenue, et je ne les oublierai jamais, de vrais hommes qui n'avaient aucun problème d'identité masculine manifestement, qui ne se sentaient pas menacés par la présence féminine sur ce secteur. Il y a eu de véritables reconnaissances, magnifiques. Des moments intenses, des amitiés très fortes se sont nouées. Je ne les remercierai jamais assez. D'autant que l'adversité a été sévère, j'ai à peu près tout entendu et subi en matière de sexisme et de dénigrement de la part de quelques-uns, et même certaines. Mais dans l'ensemble, les pilotes ont été très respecteux. C'est un milieu très spécial, une mentalité d'avant-garde, parce que finalement, le seul juge, en dernier recours, lorsque vous êtes aux prises avec un incident technique majeur, un feu, ou une tempête, en altitude ou en évolution, c'est la mort. Et de ce côté-là, l'aviation a été particulièrement marquée. Je me souviens avoir été globalement bien acceptée, je conserve un excellent souvenir. J'étais professionnelle, je ne suis jamais entrée en opposition ni dans une guerre des sexes, nous étions tous pilotes, point final. D'ailleurs, si longtemps après avoir été abattue en plein vol par une agression qui a mis fin à ma carrière, j'ai reçu des soutiens spontanés du milieu des pilotes lorsque j'ai rencontré recemment des difficultés. Actuellement, je participe très activement à la défense du commandant de gendarmerie Matelly, docteur en sociologie et chercheur au CNRS, victime d'une véritable éxécution sur le plan professionnel, simplement pour être précurseur. Un ancien commandant de bord d'Air France, un journaliste passionné d'aviation, sont venus rejoindre l'équipe de défense... c'est significatif et ce n'est pas un hasard.
2) Vous contribuez à relever un défi planétaire : celui de combattre la violence à l’égard des femmes. Comment définissez-vous la violence conjugale ?
La violence conjugale est souvent confondue avec le conflit de couple. Il est important d'expliquer la différence. Les processus ne sont pas les mêmes. La violence conjugale est d'abord une prise de contrôle de l'autre, de son existence, de sa pensée, de son identité, un asservissement, une dépersonnalisation, qui aboutit à la deconstruction de la victime, qui finit par ne plus être qu'une enveloppe sans vie intérieure. Des coups peuvent se surajouter, la vie relationnelle, professionnelle, part en lambeaux. Anéantissement progressif mais total, noyade dans une douleur extrême et silencieuse. Ce processus de destruction d'un être humain comporte un socle commun avec les violences professionelles, institutionnelles. Lorsque des individus sans foi ni loi n'hésitent pas à détruire des gens biens, intègres, dévoués, courageux, hommes ou femmes. J'ai plusieurs exemples en ce moment dans le cadre de mon activité de soutien et d'aide aux personnes qui subissent ces violences. Je n'emploie pas le terme "victime" volontairement. S'il est nécéssaire d'identifier, nommer et reconnaitre ce qui arrive à l'être humain concerné, il faut rester très vigilant pour ne pas le laisser enfermer dans un processus de victimisation qui le prive de sa dignité et de ses moyens de défense. Il faut le restaurer dans son estime de lui-même. Je reviendrai sur la définition de la violence conjugale un peu plus loin.
La violence conjugale se distingue des autres formes de violences par la spécificité féminine. En effet, les femmes sont les premières victimes des comportements de domination et des destruction : butin de guerre (viols, utilisés même comme arme de terreur), accès réduit ou impossible à la scolarisation, mariages forcés, crimes de dot ou d'honneur, accès et carrières professionnelles encore souvent limitées, considérées comme incapables légalement dans plusieurs pays. En France même, le droit de vote est accordé aux femmes que depuis peu finalement... Enfin je n'ai encore jamais vu d'hommes enceintes tomber sous les coups de leur femme...ni être avortés à coups de poing, ou prendre une balle dans la nuque à 6 mois de grossesse...
J'en profite pour rappeler un point qui me tient à coeur : il faut cesser de montrer des visages tuméfiés. Les violences faites aux femmes ne se résument pas si facilement à un concept de femmes battues, qui devient banalisé sans pour autant être mieux traité. Il semble ignorer, aux yeux du public, la destruction des violences psychiques, qui pourtant conduisent aussi bien à l'atteinte à la santé, et à la mort, par décompensation physique, ou par suicide. J'aimerais que la mort de ces femmes poussées au suicide par le désepoir, la perte de l'estime d'elle-même, la destruction psychique, soit mieux pris en compte. 1 femme décède tous les 2 jours sous les coups de son conjoint, mais si on intègre les suicides, le chiffre grimpe facilement à 2 décès par jour. A ce sujet, la campagne " vivre à bout de souffle" est excellente, et mon clip apporte une contribution appréciée.
3) Le 25 novembre été déclaré Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Que signifie cet anniversaire pour vous?
Une remise en question : comment faire évoluer les relations hommes-femmes sur un sujet si délicat sans les dresser les uns contre les autres ? Comment éviter les dérapages et les récupérations ? Il faut élaborer de nouveaux axes de communication pour éviter que les hommes qui ne sont pas dans ce processus de prise de contrôle, mais simplement dans l'incompréhension, ne se sentent stigmatisés et ne se braquent. Réfléchir aux conditions et environnements qui conduisent les hommes à la violence, et apporter des améliorations.
C'est ma démarche : j'explique avec simplicité quelle est la spécificité traditionnelle, planétaire, et historique des violences faites aux femmes. Ensuite je montre aux hommes comment eux-mêmes sont victimes d'un véritable conditionnement provenant de leur éducation familiale, culturelle, scolaire, sociale, comment ils sont eux-mêmes, d'une certaine façon, victimes de leur condition d'homme, puisqu'ils n'ont pas de libre-arbitre. Enfin, je travaille à restaurer de la bienveillance dans la communication, la notion d'estime de soi et des autres, la gestion des différences et des differents autrement que par le rapport de force ou la prise de contrôle. La prise de contrôle, la violence conjugale, ou les violences interpersonnelles ne sont pas une fatalité, mais des processus que l'on peut modifier, ou remplacer par d'autres moins moyen-âgeux.
Les violences faites aux femmes sont spécifiques par leur ancienneté. Mais de mêmes que les peuples noirs sont sortis de l'esclavage et des états d'esprits qui les entouraient, il faut affranchir les femmes une fois pour toutes de ces préjugés et principes.
4) La question des variations sociologiques déclenche de vives polémiques. Beaucoup pensent que la violence serait l'apanage de certains peuples, une démonstration des mœurs de certaines régions. Qu’en dites-vous ?
Malheureusement Ghislaine Sathoud, la violence, comme la bêtise, sont les attributs les mieux partagés au monde...
5) Quel est le profil des femmes victimes de violence conjugale ? Des rumeurs indiquent que ce sont des femmes peu instruites et sans revenu. Et vous, quelle est votre opinion ?
Ma dernière cliente est architecte, et j'ai même eu une médecin psychiatrie en clientèle. Le processus de prise de contrôle est très difficile à repérer, il est diffusé parfois à doses homéopathiques au quotidien, la femme est prisonnière de son émotionnel, de l'amour qu'elle porte à son compagnon. Le processus agit sur l'inconscient, le psychisme, il ne passe pas par le conscient ni le rationnel. Il n'est pas en rapport avec la volonté, le niveau d'instruction, d'intelligence. D'où l'importance du regard extérieur pour initier ou accompagner la prise de conscience. C'est la même chose qu'avec l'emprise finalement.
En revanche, l'information est essentielle pour repérer les signes d'alerte dans le comportement de l'autre, pour identifier clairement ce qui trouble ou culpabilise la victime comme étant bien anormal et non un produit de son imagination. Il s'agit donc de placer des balises, des repères, officiels, clairement identifiés et reconnus comme tels, qui pourront être utilisés comme support de prise de conscience et d'aide par la victime comme les persones extérieurs. Et pas les auteurs de violences aussi d'ailleurs, car souvent, ils dérapent sur ce mode de fonctionnement sans s'en rendre compte et ne peuvent plus en sortir.
6) Diverses initiatives visent à contrer la violence. Par exemple, en 1999, une enquête de grande envergure fut réalisée. Quarante pays participaient à cette étude. Pouvez-vous nous parler plus amplement de cette prospection ?
Pour être en mesure d'apporter des solutions à la violence, il faut d'abord procéder à un état des lieux et étudier la problématique en détails. Nous avons besoin d'outils d'évaluation rigoureux pour comprendre un phénomène sociologique qui impacte l'évolution sociale et aussi l'économie (coût en termes de santé publique, en arrêt de travail, en perte de management de personnel...). Cherchons aussi à comprendre comment une personne évolue vers des comportements violents, comment l'aider à ne plus subir ce processus et mieux vivre son relationnel.
7) Concernant le viol conjugal, beaucoup refusent d’intégrer cette notion dans les rapports entre époux et refusent de considérer ce comportement comme une agression. Votre avis nous intéresse.
L'acte sexuel est un acte d'amour librement consenti, un partage, un échange entre deux êtres qui s'aiment, et qui témoignent de leurs sentiments l'un pour l'autre par le langage du corps.
Le viol est un acte de pénétration sexuel par force, contrainte ou surprise.
A partir de là, le public comprendra aisément que l'impact émotionnel et psychique de l'acte est constructif et épanouissant dans le premier cas, destructeur, avilissant pour la victime comme pour celui qui le commet dans le second cas.
Le fait qu'il soit commis par une personne proche, voisin, membre de la famille, conjoint est très fréquent, mais reste classé en crime pour les raisons expliquées plus haut.
Une femme qui n'a plus envie de son compagnon, refuse ses caresses, a une libido en panne. Il faut alors dialoguer ensemble pour comprendre ce qui arrive, pourquoi elle est en souffrance. A t elle une appréhension ? Un mauvais souvenir refoulé très ancien qui remonte, une épisiotomie qui se réveille, une douleur à une ovaire ? Un sentiment de rejet, un problème de communication dans le couple, une sensibilité blessée, le stress ou la fatigue de journées chargées ne facilitent pas le lâcher prise. Il y a toujours moyen d'apporter des améliorations sur ces points. Lorsque l'homme opte pour le contrôle du corps de sa compagne pour la satisfaction immédiate de son désir personnel, dans le déni de la souffrance ou du malaise de sa compagne, c'est un acte délibéré, un choix, une signature de la violence.
8) Les violences sexuelles pendant les conflits laissent des marques indélébiles. Pourtant, ce phénomène se perpétue aujourd'hui comme en témoignent régulièrement les crimes de guerre commis dans plusieurs pays. Que feriez-vous pour régler un problème de cette nature ?
Je ne vois pas comment éviter les comportements prédateurs lorsque ceux-ci sont précisement déployés lors de guerres. Les exactions sur la population sont liées à l'exacerbation de la haine de l'autre, aux phénomènes de groupe, de "meutes". Pour éviter ces exactions, il faut commencer par travailler en amont sur la prévention des conflits entre états ou communautés, travailler à la paix. C'est une mission de diplomates, de politiques, mais aussi des actions économiques.
9) La violence conjugale est un cycle qui passe par des périodes de tension et des moments d’accalmie. Ces turbulences bouleversent les victimes et souvent elles vivent ces maux en silence. Quel conseil donneriez-vous à une personne qui veut se libérer de la violence ? Que diriez-vous à une victime rescapée qui tente de panser ses plaies après cette violente secousse ?
Les alternances violences/lune de miel que vous décrivez sont caractérisques du cycle de violence conjugale. Un autre point à signaler est la projection de la responsabilité sur la personne agressée, la culpabilisant et la destabilisant davantage. Connaitre le cycle est important pour comprendre ce qui vous arrive, étape préliminaire indispensable pour s'en sortir. Ce repérage de schéma peut servir aussi à ceux qui sont tombés dans le piège de l'exercice de la violence, en souffrent eux-mêmes et souhaitent changer leur mode de fonctionnement. On ne nait pas victime, on le devient, de même qu'on ne nait pas violent, mais on le devient également (hors troubles psychiatriques pathologiques). Mais on peut aussi en sortir ! Le processus peut être renversé. Tout passe par l'information et la compréhension des mécanismes en oeuvre. La première aide passe par soi-même. Car malheureusement, la violence interpersonnelle est encore très insuffisament prise en compte, les milieux médicaux, policiers, judiciaires sont mal informés et la souffrance de la victime est souvent accentuée. Il n'est pas facile de trouver une association de violence conjugale proche, un véritable accompagnement constructif. Les victimes se sentent tellement diminuées qu'elles ont l'impression qu'elles n'auront jamais la force de s'en sortir, ou pire, qu'elles n'en valent pas la peine, parce qu'elles se remettent en cause sur des fautes qu'elles ont commises comme nous tous, ou au contraire se victimisent à outrance. Elles finissent par développer des troubles psychologiques anxio-dépressifs, des troubles de santé.
S'aider soi-même consiste d'abord à chercher en soi une petite étincelle. Chez les personnes détruites, elle est très faible, mais elle est présente. Il faut simplement protéger cette étincelle, qui va devenir une petite flamme hésitante, fragile, mais en en prenant soin, jour après jour, tout doucement, elle va forcir, grandir, puis rayonner, illuminer. Cela passe par des gestes simples, prendre soin de son corps, souvent meurtri, ou mal-aimé, des oisn du corps, mêmes légers, apportent un baume au coeur et à l'âme, mobilisent et renforcent les énergies d'auto-protection et de résilience. Penser aussi à se documenter sur les techniques de visualisation, les techniques de communication, tout ce qui peut donner des outils, aider à se sentir moins démuni et répondre à la question " m'en sortir, oui, mais comment faire ?" Un accompagnement est important, c'est un ancrage extérieur, mais l'essentiel du travail sera accompli par la personne elle-même. C'est un peu la même chose en médecine : le médecin intervient en injectant un antibiotique, en posant un plâtre, en opérant...mais sans les ressources internes de guérison du patient, symbolisée par l'étincelle et la flamme, ces soins nécéssaires auront peu de chance de succès.
10) On parle d’hommes victimes de violence conjugale. Dans plusieurs cas, ce sont des ripostes, des protestations car les femmes agissent de la sorte pour manifester un ras-le-bol. Avez-vous eu vent de ce phénomène ?
Selon la Commission Européenne, dans plus de 98% des cas, la violence est le fait de l’homme. Le reste est commis le plus souvent par des femmes en situation de rébellion contre un conjoint ou ex-conjoint violent, ou dans une tentative de défense.
Chiffres extraits du dossier de presse du Ministère accompagnant le lancement du n° d’appel national “3919″, en 2007 :
“En France, en 2006, 168 personnes sont décédées, victimes de leur compagnon ou compagne.
- 137 femmes décédées de violences conjugales : 1 femme tous les 3 jours
- 31 hommes décédés : 1 homme tous les 13 jours (les ¾ battaient leur femme). Sur les 29 femmes auteurs sur des hommes (16 en zone police et 13 en zone gendarmerie) qui ont été recensées, 15 d’entre elles étaient victimes de violences de la part de leur partenaire (dont 12 en zone police).
- 228 victimes au total : 11 enfants, 3 adultes proches des victimes ont également été tués et 46 auteurs se sont suicidés. “
Mais attention, la violence conjugale ne se réduit pas aux coups qui sont une forme extrême. Revenons au processus pour comprendre comment les hommes peuvent être victimes :
Les violences conjugales, les violences sexuelles, les violences au travail, sont des processus au cours desquels une personne utilise la force ou la contrainte pour promouvoir des relations hiérarchisées et de domination. L'agresseur uilise les violences physiques, psychologiques, sexuelles et économiques pour établir un contrôle permanent sur la victime. Le recours à la violence n’a qu’un objectif : le contrôle et la domination de l’autre. La victime est maintenue sous l’emprise de l’agresseur, isolée physiquement et socialement, détruite physiquement et psychologiquement. La peur, la honte et le sentiment de culpabilité qu’elles ressentent les amènent à se taire et à subir encore plus ces violences.
Ainsi, bien que le plus souvent les femmes soient plus souvent victimes que les hommes de ces violences, car elles sont plus vulnérables par "tradition", ceux-ci peuvent également être concernés en raison de l'aspect psychologique et d'emprise qui peut se développer sans violence physique. De même qu'en matière pénale, le viol commis sur des hommes (par d'autres hommes), même s'il est rare, existe et ces hommes doivent être considérés et leur souffrance prise en compte. Les hommes sont également exposés aux violences professionnelles et institutionnelles. Je m'occupe actuellement de plusieurs de ces hommes en souffrances parfois insoutenables.
11) Merci Isabelle pour cet entretien instructif. Avez-vous un dernier mot pour nos lecteurs ?
En conclusion, chère Ghislaine Sathoud, j'invite les lecteurs à réfléchir sur cet extrait, qui permettra d'ouvrir le sujet sur d'autres pistes de discussions et de recherche :
” A l’origine de la violence domestique, on trouve à la fois des facteurs sociaux et une vulnérabilité psychologique. Cependant, la vulnérabilité psychologique, sans la facilitation apportée par le contexte social, ne suffit pas à rendre un homme violent, analyse Marie-France Irigoyen, psychiatre et psychanalyste, dans Femmes sous emprise. Les ressorts de la violence dans le couple. Oh! Editions. Ces violences ne seraient pas possibles si leurs conditions objectives n’étaient pas déjà installées par le sytème social.“
http://osezdevenir.wordpress.com/
http://www.violence-conjugale-aider-victimes-et-violents.com
http://www.youtube.com/watch?v=xfry9rLrszI
1) Vous êtes pilote de formation, ce secteur reste encore largement masculin. Qu'est-ce qui a motivé votre orientation professionnelle vers un métier dit non traditionnel ? Dans le même ordre d’idées, comment s’est déroulé votre apprentissage tant au niveau de l’enseignement à proprement parler que dans vos relations avec vos collègues de sexe opposé ?
C'est une passion d'enfance, un reflet de mon tempérament. Je suis fougueuse, passionnée, éprise de liberté et artiste. Je n'avais aucune conscience, enfant, que ce métier pouvait comporter des limitations pour les femmes, puisqu'au contraire, pour moi, il était naturel. J'avais besoin de voler, c'était ma liberté, ma vie retrouvée, aussi un partage avec le public dans les meetings. La formation a été difficile. Pendant la formation, j'ai connu le meilleur et le pire : des hommes m'ont aidée, soutenue, et je ne les oublierai jamais, de vrais hommes qui n'avaient aucun problème d'identité masculine manifestement, qui ne se sentaient pas menacés par la présence féminine sur ce secteur. Il y a eu de véritables reconnaissances, magnifiques. Des moments intenses, des amitiés très fortes se sont nouées. Je ne les remercierai jamais assez. D'autant que l'adversité a été sévère, j'ai à peu près tout entendu et subi en matière de sexisme et de dénigrement de la part de quelques-uns, et même certaines. Mais dans l'ensemble, les pilotes ont été très respecteux. C'est un milieu très spécial, une mentalité d'avant-garde, parce que finalement, le seul juge, en dernier recours, lorsque vous êtes aux prises avec un incident technique majeur, un feu, ou une tempête, en altitude ou en évolution, c'est la mort. Et de ce côté-là, l'aviation a été particulièrement marquée. Je me souviens avoir été globalement bien acceptée, je conserve un excellent souvenir. J'étais professionnelle, je ne suis jamais entrée en opposition ni dans une guerre des sexes, nous étions tous pilotes, point final. D'ailleurs, si longtemps après avoir été abattue en plein vol par une agression qui a mis fin à ma carrière, j'ai reçu des soutiens spontanés du milieu des pilotes lorsque j'ai rencontré recemment des difficultés. Actuellement, je participe très activement à la défense du commandant de gendarmerie Matelly, docteur en sociologie et chercheur au CNRS, victime d'une véritable éxécution sur le plan professionnel, simplement pour être précurseur. Un ancien commandant de bord d'Air France, un journaliste passionné d'aviation, sont venus rejoindre l'équipe de défense... c'est significatif et ce n'est pas un hasard.
2) Vous contribuez à relever un défi planétaire : celui de combattre la violence à l’égard des femmes. Comment définissez-vous la violence conjugale ?
La violence conjugale est souvent confondue avec le conflit de couple. Il est important d'expliquer la différence. Les processus ne sont pas les mêmes. La violence conjugale est d'abord une prise de contrôle de l'autre, de son existence, de sa pensée, de son identité, un asservissement, une dépersonnalisation, qui aboutit à la deconstruction de la victime, qui finit par ne plus être qu'une enveloppe sans vie intérieure. Des coups peuvent se surajouter, la vie relationnelle, professionnelle, part en lambeaux. Anéantissement progressif mais total, noyade dans une douleur extrême et silencieuse. Ce processus de destruction d'un être humain comporte un socle commun avec les violences professionelles, institutionnelles. Lorsque des individus sans foi ni loi n'hésitent pas à détruire des gens biens, intègres, dévoués, courageux, hommes ou femmes. J'ai plusieurs exemples en ce moment dans le cadre de mon activité de soutien et d'aide aux personnes qui subissent ces violences. Je n'emploie pas le terme "victime" volontairement. S'il est nécéssaire d'identifier, nommer et reconnaitre ce qui arrive à l'être humain concerné, il faut rester très vigilant pour ne pas le laisser enfermer dans un processus de victimisation qui le prive de sa dignité et de ses moyens de défense. Il faut le restaurer dans son estime de lui-même. Je reviendrai sur la définition de la violence conjugale un peu plus loin.
La violence conjugale se distingue des autres formes de violences par la spécificité féminine. En effet, les femmes sont les premières victimes des comportements de domination et des destruction : butin de guerre (viols, utilisés même comme arme de terreur), accès réduit ou impossible à la scolarisation, mariages forcés, crimes de dot ou d'honneur, accès et carrières professionnelles encore souvent limitées, considérées comme incapables légalement dans plusieurs pays. En France même, le droit de vote est accordé aux femmes que depuis peu finalement... Enfin je n'ai encore jamais vu d'hommes enceintes tomber sous les coups de leur femme...ni être avortés à coups de poing, ou prendre une balle dans la nuque à 6 mois de grossesse...
J'en profite pour rappeler un point qui me tient à coeur : il faut cesser de montrer des visages tuméfiés. Les violences faites aux femmes ne se résument pas si facilement à un concept de femmes battues, qui devient banalisé sans pour autant être mieux traité. Il semble ignorer, aux yeux du public, la destruction des violences psychiques, qui pourtant conduisent aussi bien à l'atteinte à la santé, et à la mort, par décompensation physique, ou par suicide. J'aimerais que la mort de ces femmes poussées au suicide par le désepoir, la perte de l'estime d'elle-même, la destruction psychique, soit mieux pris en compte. 1 femme décède tous les 2 jours sous les coups de son conjoint, mais si on intègre les suicides, le chiffre grimpe facilement à 2 décès par jour. A ce sujet, la campagne " vivre à bout de souffle" est excellente, et mon clip apporte une contribution appréciée.
3) Le 25 novembre été déclaré Journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes. Que signifie cet anniversaire pour vous?
Une remise en question : comment faire évoluer les relations hommes-femmes sur un sujet si délicat sans les dresser les uns contre les autres ? Comment éviter les dérapages et les récupérations ? Il faut élaborer de nouveaux axes de communication pour éviter que les hommes qui ne sont pas dans ce processus de prise de contrôle, mais simplement dans l'incompréhension, ne se sentent stigmatisés et ne se braquent. Réfléchir aux conditions et environnements qui conduisent les hommes à la violence, et apporter des améliorations.
C'est ma démarche : j'explique avec simplicité quelle est la spécificité traditionnelle, planétaire, et historique des violences faites aux femmes. Ensuite je montre aux hommes comment eux-mêmes sont victimes d'un véritable conditionnement provenant de leur éducation familiale, culturelle, scolaire, sociale, comment ils sont eux-mêmes, d'une certaine façon, victimes de leur condition d'homme, puisqu'ils n'ont pas de libre-arbitre. Enfin, je travaille à restaurer de la bienveillance dans la communication, la notion d'estime de soi et des autres, la gestion des différences et des differents autrement que par le rapport de force ou la prise de contrôle. La prise de contrôle, la violence conjugale, ou les violences interpersonnelles ne sont pas une fatalité, mais des processus que l'on peut modifier, ou remplacer par d'autres moins moyen-âgeux.
Les violences faites aux femmes sont spécifiques par leur ancienneté. Mais de mêmes que les peuples noirs sont sortis de l'esclavage et des états d'esprits qui les entouraient, il faut affranchir les femmes une fois pour toutes de ces préjugés et principes.
4) La question des variations sociologiques déclenche de vives polémiques. Beaucoup pensent que la violence serait l'apanage de certains peuples, une démonstration des mœurs de certaines régions. Qu’en dites-vous ?
Malheureusement Ghislaine Sathoud, la violence, comme la bêtise, sont les attributs les mieux partagés au monde...
5) Quel est le profil des femmes victimes de violence conjugale ? Des rumeurs indiquent que ce sont des femmes peu instruites et sans revenu. Et vous, quelle est votre opinion ?
Ma dernière cliente est architecte, et j'ai même eu une médecin psychiatrie en clientèle. Le processus de prise de contrôle est très difficile à repérer, il est diffusé parfois à doses homéopathiques au quotidien, la femme est prisonnière de son émotionnel, de l'amour qu'elle porte à son compagnon. Le processus agit sur l'inconscient, le psychisme, il ne passe pas par le conscient ni le rationnel. Il n'est pas en rapport avec la volonté, le niveau d'instruction, d'intelligence. D'où l'importance du regard extérieur pour initier ou accompagner la prise de conscience. C'est la même chose qu'avec l'emprise finalement.
En revanche, l'information est essentielle pour repérer les signes d'alerte dans le comportement de l'autre, pour identifier clairement ce qui trouble ou culpabilise la victime comme étant bien anormal et non un produit de son imagination. Il s'agit donc de placer des balises, des repères, officiels, clairement identifiés et reconnus comme tels, qui pourront être utilisés comme support de prise de conscience et d'aide par la victime comme les persones extérieurs. Et pas les auteurs de violences aussi d'ailleurs, car souvent, ils dérapent sur ce mode de fonctionnement sans s'en rendre compte et ne peuvent plus en sortir.
6) Diverses initiatives visent à contrer la violence. Par exemple, en 1999, une enquête de grande envergure fut réalisée. Quarante pays participaient à cette étude. Pouvez-vous nous parler plus amplement de cette prospection ?
Pour être en mesure d'apporter des solutions à la violence, il faut d'abord procéder à un état des lieux et étudier la problématique en détails. Nous avons besoin d'outils d'évaluation rigoureux pour comprendre un phénomène sociologique qui impacte l'évolution sociale et aussi l'économie (coût en termes de santé publique, en arrêt de travail, en perte de management de personnel...). Cherchons aussi à comprendre comment une personne évolue vers des comportements violents, comment l'aider à ne plus subir ce processus et mieux vivre son relationnel.
7) Concernant le viol conjugal, beaucoup refusent d’intégrer cette notion dans les rapports entre époux et refusent de considérer ce comportement comme une agression. Votre avis nous intéresse.
L'acte sexuel est un acte d'amour librement consenti, un partage, un échange entre deux êtres qui s'aiment, et qui témoignent de leurs sentiments l'un pour l'autre par le langage du corps.
Le viol est un acte de pénétration sexuel par force, contrainte ou surprise.
A partir de là, le public comprendra aisément que l'impact émotionnel et psychique de l'acte est constructif et épanouissant dans le premier cas, destructeur, avilissant pour la victime comme pour celui qui le commet dans le second cas.
Le fait qu'il soit commis par une personne proche, voisin, membre de la famille, conjoint est très fréquent, mais reste classé en crime pour les raisons expliquées plus haut.
Une femme qui n'a plus envie de son compagnon, refuse ses caresses, a une libido en panne. Il faut alors dialoguer ensemble pour comprendre ce qui arrive, pourquoi elle est en souffrance. A t elle une appréhension ? Un mauvais souvenir refoulé très ancien qui remonte, une épisiotomie qui se réveille, une douleur à une ovaire ? Un sentiment de rejet, un problème de communication dans le couple, une sensibilité blessée, le stress ou la fatigue de journées chargées ne facilitent pas le lâcher prise. Il y a toujours moyen d'apporter des améliorations sur ces points. Lorsque l'homme opte pour le contrôle du corps de sa compagne pour la satisfaction immédiate de son désir personnel, dans le déni de la souffrance ou du malaise de sa compagne, c'est un acte délibéré, un choix, une signature de la violence.
8) Les violences sexuelles pendant les conflits laissent des marques indélébiles. Pourtant, ce phénomène se perpétue aujourd'hui comme en témoignent régulièrement les crimes de guerre commis dans plusieurs pays. Que feriez-vous pour régler un problème de cette nature ?
Je ne vois pas comment éviter les comportements prédateurs lorsque ceux-ci sont précisement déployés lors de guerres. Les exactions sur la population sont liées à l'exacerbation de la haine de l'autre, aux phénomènes de groupe, de "meutes". Pour éviter ces exactions, il faut commencer par travailler en amont sur la prévention des conflits entre états ou communautés, travailler à la paix. C'est une mission de diplomates, de politiques, mais aussi des actions économiques.
9) La violence conjugale est un cycle qui passe par des périodes de tension et des moments d’accalmie. Ces turbulences bouleversent les victimes et souvent elles vivent ces maux en silence. Quel conseil donneriez-vous à une personne qui veut se libérer de la violence ? Que diriez-vous à une victime rescapée qui tente de panser ses plaies après cette violente secousse ?
Les alternances violences/lune de miel que vous décrivez sont caractérisques du cycle de violence conjugale. Un autre point à signaler est la projection de la responsabilité sur la personne agressée, la culpabilisant et la destabilisant davantage. Connaitre le cycle est important pour comprendre ce qui vous arrive, étape préliminaire indispensable pour s'en sortir. Ce repérage de schéma peut servir aussi à ceux qui sont tombés dans le piège de l'exercice de la violence, en souffrent eux-mêmes et souhaitent changer leur mode de fonctionnement. On ne nait pas victime, on le devient, de même qu'on ne nait pas violent, mais on le devient également (hors troubles psychiatriques pathologiques). Mais on peut aussi en sortir ! Le processus peut être renversé. Tout passe par l'information et la compréhension des mécanismes en oeuvre. La première aide passe par soi-même. Car malheureusement, la violence interpersonnelle est encore très insuffisament prise en compte, les milieux médicaux, policiers, judiciaires sont mal informés et la souffrance de la victime est souvent accentuée. Il n'est pas facile de trouver une association de violence conjugale proche, un véritable accompagnement constructif. Les victimes se sentent tellement diminuées qu'elles ont l'impression qu'elles n'auront jamais la force de s'en sortir, ou pire, qu'elles n'en valent pas la peine, parce qu'elles se remettent en cause sur des fautes qu'elles ont commises comme nous tous, ou au contraire se victimisent à outrance. Elles finissent par développer des troubles psychologiques anxio-dépressifs, des troubles de santé.
S'aider soi-même consiste d'abord à chercher en soi une petite étincelle. Chez les personnes détruites, elle est très faible, mais elle est présente. Il faut simplement protéger cette étincelle, qui va devenir une petite flamme hésitante, fragile, mais en en prenant soin, jour après jour, tout doucement, elle va forcir, grandir, puis rayonner, illuminer. Cela passe par des gestes simples, prendre soin de son corps, souvent meurtri, ou mal-aimé, des oisn du corps, mêmes légers, apportent un baume au coeur et à l'âme, mobilisent et renforcent les énergies d'auto-protection et de résilience. Penser aussi à se documenter sur les techniques de visualisation, les techniques de communication, tout ce qui peut donner des outils, aider à se sentir moins démuni et répondre à la question " m'en sortir, oui, mais comment faire ?" Un accompagnement est important, c'est un ancrage extérieur, mais l'essentiel du travail sera accompli par la personne elle-même. C'est un peu la même chose en médecine : le médecin intervient en injectant un antibiotique, en posant un plâtre, en opérant...mais sans les ressources internes de guérison du patient, symbolisée par l'étincelle et la flamme, ces soins nécéssaires auront peu de chance de succès.
10) On parle d’hommes victimes de violence conjugale. Dans plusieurs cas, ce sont des ripostes, des protestations car les femmes agissent de la sorte pour manifester un ras-le-bol. Avez-vous eu vent de ce phénomène ?
Selon la Commission Européenne, dans plus de 98% des cas, la violence est le fait de l’homme. Le reste est commis le plus souvent par des femmes en situation de rébellion contre un conjoint ou ex-conjoint violent, ou dans une tentative de défense.
Chiffres extraits du dossier de presse du Ministère accompagnant le lancement du n° d’appel national “3919″, en 2007 :
“En France, en 2006, 168 personnes sont décédées, victimes de leur compagnon ou compagne.
- 137 femmes décédées de violences conjugales : 1 femme tous les 3 jours
- 31 hommes décédés : 1 homme tous les 13 jours (les ¾ battaient leur femme). Sur les 29 femmes auteurs sur des hommes (16 en zone police et 13 en zone gendarmerie) qui ont été recensées, 15 d’entre elles étaient victimes de violences de la part de leur partenaire (dont 12 en zone police).
- 228 victimes au total : 11 enfants, 3 adultes proches des victimes ont également été tués et 46 auteurs se sont suicidés. “
Mais attention, la violence conjugale ne se réduit pas aux coups qui sont une forme extrême. Revenons au processus pour comprendre comment les hommes peuvent être victimes :
Les violences conjugales, les violences sexuelles, les violences au travail, sont des processus au cours desquels une personne utilise la force ou la contrainte pour promouvoir des relations hiérarchisées et de domination. L'agresseur uilise les violences physiques, psychologiques, sexuelles et économiques pour établir un contrôle permanent sur la victime. Le recours à la violence n’a qu’un objectif : le contrôle et la domination de l’autre. La victime est maintenue sous l’emprise de l’agresseur, isolée physiquement et socialement, détruite physiquement et psychologiquement. La peur, la honte et le sentiment de culpabilité qu’elles ressentent les amènent à se taire et à subir encore plus ces violences.
Ainsi, bien que le plus souvent les femmes soient plus souvent victimes que les hommes de ces violences, car elles sont plus vulnérables par "tradition", ceux-ci peuvent également être concernés en raison de l'aspect psychologique et d'emprise qui peut se développer sans violence physique. De même qu'en matière pénale, le viol commis sur des hommes (par d'autres hommes), même s'il est rare, existe et ces hommes doivent être considérés et leur souffrance prise en compte. Les hommes sont également exposés aux violences professionnelles et institutionnelles. Je m'occupe actuellement de plusieurs de ces hommes en souffrances parfois insoutenables.
11) Merci Isabelle pour cet entretien instructif. Avez-vous un dernier mot pour nos lecteurs ?
En conclusion, chère Ghislaine Sathoud, j'invite les lecteurs à réfléchir sur cet extrait, qui permettra d'ouvrir le sujet sur d'autres pistes de discussions et de recherche :
” A l’origine de la violence domestique, on trouve à la fois des facteurs sociaux et une vulnérabilité psychologique. Cependant, la vulnérabilité psychologique, sans la facilitation apportée par le contexte social, ne suffit pas à rendre un homme violent, analyse Marie-France Irigoyen, psychiatre et psychanalyste, dans Femmes sous emprise. Les ressorts de la violence dans le couple. Oh! Editions. Ces violences ne seraient pas possibles si leurs conditions objectives n’étaient pas déjà installées par le sytème social.“
http://osezdevenir.wordpress.com/
http://www.violence-conjugale-aider-victimes-et-violents.com
http://www.youtube.com/watch?v=xfry9rLrszI