Gabon : l’alternance dans la continuité ?
La première élection présidentielle organisée au Gabon après la disparition du président El Hadj Omar Bongo s’est soldée par la victoire de son fils Ali Bongo Ondimba. Les résultats provisoires rendus publics jeudi 03 septembre à Libreville par la Commission électorale nationale autonome et permanente (CENAP), confirmés le lendemain par la Cour constitutionnelle, le donnent vainqueur avec 41,73% des suffrages exprimés. Loin, très loin devant ses adversaires.
Elu président de la République gabonaise, Ali Bongo Ondimba ne cache pas sa joie de l’avoir emporté face à des adversaires très déterminés. A l’instar d’André Mba Obame, ancien ministre de l’Intérieur ; ou Pierre Mamboundou, opposant historique au régime de son père. Ces figures de proue de la scène politique gabonaise ont pris la tête de peloton des 17 candidats de l’opposition en s’adjugeant respectivement 25,88 % et 25,22 % des suffrages exprimés. Très surveillé, le scrutin s’est déroulé sous très haute tension. La mobilisation de la population a été générale et sans égale. A l’exception des opposants notoires comme Pierre Mamboundou et Zacharie Myboto (3,39%), le scrutin du 30 août 2009 a enregistré un nombre record de candidatures « indépendantes » issues des rangs du parti démocratique gabonais (PDG), le parti au pouvoir. Du jamais vu du vivant du patriarche El Hadj Omar Bongo, très à cheval sur la discipline du parti ! Ainsi d’André Mba Obame et de Casimir Oye Mba, deux membres influents du PDG. En rupture de ban pour cause d’élection présidentielle. Hier encore, le premier animait aux côtés de son ami Ali Bongo l’un des principaux courants du PDG. Le second, cacique parmi les caciques du PDG, est un ancien Premier ministre. Malgré le désistement et le report des voix en faveur d’André Mba Obamé de cinq candidatures de poids, parmi lesquelles celle de l’ancien Premier ministre Jean Eyeghé Ndong, l’opposition n’a pas réussi à terrasser Ali Bongo. Comme ailleurs sur le continent, elle en est réduite aux voies de fait et à l’argument devenu classique dans les milieux de l’opposition africaine de « coup d’Etat électoral. » Depuis la proclamation des résultats par la CENAP, l’ambiance générale à travers le pays est celle de « ville morte. » Avec une pointe d’exacerbation d’un sentiment anti-français. Malgré les propos rassurants de l’Elysée et du Quai d’Orsay, qui affirment la neutralité de Paris par rapport à la politique intérieure gabonaise. Après Nicolas Sarkozy, Bernard Kouchner a encore enfourché la profession de foi des autorités hexagonales : « La France n’a pas de candidat au Gabon. » Ce qui n’a pas empêché certains intérêts français d’être attaqués. A Port Gentil, la capitale économique, le foyer social de la société française Total et le consulat de France ont été incendiés. Dans la même ville, un couvre-feu a été instauré après un mouvement des pillages rallié par des détenus qui ont brûlé un commissariat. Les violences ont même débordé les frontières du Gabon qui a vu sa chancellerie à Dakar incendiée. Malgré tous ces débordements que les observateurs mettent sur le compte de « mouvements d’humeur normaux », la réalité demeure qu’Ali Bongo Ondimba a été élu à la majorité relative des suffrages exprimés le 30 août dernier.Apparemment, le peuple gabonais a choisi de lui donner carte blanche pour conduire une alternance dans la continuité. Après El Hadj Omar Bongo Ondimba, c’est donc Ali Bongo Ondimba qui reprend le flambeau en s’asseyant dans le fauteuil du président au palais du bord de mer. Rescapé des violences politiques congolaisesNé il y a 50 ans à Brazzaville sur la rive droite du fleuve Congo, Ali Bongo est un rescapé des violences politiques congolaises. C’est un bébé lorsqu’éclate en 1959 des affrontements fratricides sanglants entre partisans de l’abbé Fulbert Youlou (UDDIA) et Jacques Opangault (PSA), deux candidats à la magistrature suprême. Au marché Total de Bacongo où elle a l’habitude de se ravitailler, Joséphine Bongo alias Patience Dabany est prise entre deux feux. Dans son dos, Ali Bongo solidement attaché par un pagne noué aux reins. Elle passe entre les mailles du filet de la chasse aux nordistes lancée par les partisans de l’abbé Fulbert Youlou en s’exprimant dans leur langue, le lari. « C’est bon. Laissez la passer ; elle est des nôtres. » Résidant à Poto Poto dans la partie nord de Brazzaville, elle vit cette expérience comme un véritable traumatisme.« Si je n’avais pas appris le lari, vous n’auriez peut être jamais entendu parler de mon fils Ali Bongo », confie-t-elle au correspondant du magazine panafricain Matalana et patron du journal Le Coq, lors d’une interview réalisée à sa résidence à Libreville. Avec l’accord de son mari Albert Bongo, elle fuit les violences politiques de Brazzaville en traversant le Pool Malebo. Elle débarque ainsi à Kinshasa, ex Léopoldville. Sur la rive gauche du fleuve Congo, elle est hébergée par un oncle résidant dans la commune de Kinshasa. Un séjour dont elle garde un souvenir inoubliable. Depuis, le bébé Ali Bongo a grandi. Dans l’ombre de son père, il a gravi les marches de l’Etat jusqu’à la magistrature suprême. Ayant survécu aux violences politiques du Congo, survivra-t-il à celles du Gabon ? Nul ne le sait. Citoyen gabonais, membre à part entière de la classe politique, on pouvait difficilement l’exclure d’une compétition électorale anticipée jugée « très ouverte. » Sauf à faire preuve de mauvaise foi en lui reprochant un « délit de patronymie.» comme d’autres reprocheraient un « délit de faciès. »Serein, Ali Bongo Ondimba n’en a apparemment cure. Même si à gauche et à droite des voix s’élèvent pour dénoncer avec son élection « l’institutionnalisation d’une dérive monarchique. » Prosper Bantamba Bafenda